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2013/2 Gender Studies und I+D

Quelques réflexions sur le genre du métier de bibliothécaire

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En partant d’une observation simple, l’auteure propose ici une petite réflexion sur les caractéristiques sexo-spécifiques du milieu bibliothécaire – ici et ailleurs , ainsi que sur le pouvoir structurant du genre dans l’appréciation sociale du métier et de celles et ceux qui y travaillent (Dans cette contribution, j’utilise le terme de bibliothécaire tout en étant consciente qu’il est question en Suisse romande de spécialistes ou d’agent-e en information documentaire, en Suisse alémanique de «Informationswissenschaft» et aux Etats-Unis de «Library and Information Sciences»).

Introduction

Sans aucun doute, le métier de bibliothécaire est considéré par le grand public comme un métier à prédominance féminine. Une amie bibliothécaire suisse me dit spontanément: «Aussi loin que je me souvienne, ça a toujours été un métier très féminin. Dans ma volée d’apprentissage (1992–1994), il y avait peut-être deux à trois garçons sur une trentaine de personnes. D’ailleurs, quand j’étais petite, c’étaient toujours des dames dans les bibliothèques.»

La structure sexo-spécifique des bibliothèques 

Dans son mémoire en sciences de l’information à la HES de Coire, Stadler (2012) problématise le fait que 66,5% des bibliothécaires sont des femmes, tandis qu’elles ne sont que 44,8% à occuper une position de cadre supérieur dans les bibliothèques publiques et universitaires en Suisse (OFS, 2008). Autrement dit, une minorité d’hommes arrive à occuper la majorité des postes de décision. La stratification professionnelle et salariale montre, en effet, que les femmes se heurtent à un plafond de verre, c’est-à-dire qu’il y a un ensemble d’obstacles invisibles d’ordre structurel et culturel qui empêcheraient les femmes à occuper des postes à haute responsabilité. Qu’en est-il au juste?

Salaires et reconnaissance

Le métier de bibliothécaire est connu pour des échelles salariales relativement basses (GREF, 2002). La raison de cette situation est que l’on a affaire à un métier de femmes et que celles-ci se contenteraient de salaires bas. En même temps, du fait que les salaires sont relativement bas, le métier n’attirerait pas les hommes, qui, dans leur rôle de gagne-pain, doivent chercher des emplois leur permettant de subvenir aux besoins d’une famille.

Pour mieux comprendre ces inégalités, il convient de décortiquer les valences symboliques du féminin et du masculin. Un survol rapide de la littérature semble confirmer que le métier de bibliothécaire souffre d’une image négative dans la société. Une enquête menée aux Etats-Unis sur l’appréciation du métier de bibliothécaire montre qu’il est classé par des sociologues comme une «semi-profession» (dans la même lignée que les enseignants/tes du primaire, infirmiers/infirmières, et travailleurs/travailleuses du social) (Carmichael, 1992). De plus, «head librarian» se trouvait au sixième rang des métiers les plus féminins sur une liste de 129 professions ( Beggs & Doolittle (1988), op. cit. Record & Green, 2008, p. 196).

A l’image et l’appréciation négatives du métier s’ajoutent les stéréotypes concernant les femmes et les hommes qui exercent le métier de bibliothécaire. Bien que ces stéréotypes changent probablement d’un pays à l’autre, Radford & Radford (1997) s’accordent pour dire que l’opinion publique et les représentations des bibliothécaires dans les publicités, films et romans convergent autour de l’image d’une dame «dull, grey, unfashionable» avec un chignon, habillée en tailleur et veillant sur le silence et l’ordre. Ce stéréotype semble être profondément ancré dans l’imaginaire populaire et perdure dans le temps. Il en a résulté qu’à différentes époques, l’Association américaine des bibliothécaires (ALA) a entamé des campagnes pour rehausser l’image du métier.

La structure sexo-spécifique du milieu bibliothécaire est étroitement liée à l’organisation sociétale plus large et les scripts de masculinité et féminité prévalents. Les inégalités sont la résultante d’une dialectique entre les opportunités d’emploi des femmes et les pressions sociales que subissent les hommes. L’étude de Record & Green (2008) est de ce point de vue très intéressante. En effet, la popularité différenciée du métier de bibliothécaire parmi les femmes et les hommes, et la structuration sexuée du travail dans les bibliothèques s’inscrit dans un jeu de pouvoir subtile de reconnaissance sociale et de prestige. Autrement dit, les opportunités ou discriminations des femmes sont interdépendantes des mécanismes de reconnaissance des hommes dans le métier. Une enquête sur les stéréotypes menée par Carmichael aux Etats-Unis montre que les hommes bibliothécaires sont tenus pour «efféminés, probablement homo-sexuels», «sans pouvoir, socialement inaptes» et «sans ambitions ou incapables de réussir dans le monde réel en dehors des bibliothèques» (Carmichael, 1992, p. 418), d’où la désignation dans le langage populaire de métier de «cols roses». Dans un tel contexte, comment défendre sa masculinité et son choix professionnel quand on est homme? Une des stratégies pour les hommes est de grimper le plus vite possible l’échelle de la hiérarchie interne de l’institution où ils travaillent. La pression sociale exercée sur les hommes pour se défaire d’une image de «moindre homme» les stimule à occuper les postes de responsables. Aux Etats-Unis, le terme de «glass escalator» est utilisé pour décrire le phénomène où les hommes sont poussés à des postes de direction souvent contre leur volonté ou leur souhait (Record & Green, 2008, p. 197, citant Christine Williams). L’existence et la reproduction du plafond de verre ne sont donc pas seulement une question de femme.

Changements

Il est intéressant de questionner la prédominance féminine dans ce métier dans une perspective historique plus longue. L’engagement de (jeunes) femmes dans les bibliothèques à la fin du XIXe siècle dans les pays occidentaux coïncide avec l’avènement d’une classe moyenne et bourgeoise. Le «travail de bureau» (y compris le métier de secrétaire et de sténodactylo) comme secteur émergeant est effectivement un débouché attractif pour des filles ayant terminé des études secondaires. Les compétences requises pour l’exécution du «métier de bureau» correspondaient parfaitement aux qualités socialement attendues des filles de bonne famille: compréhensives, empathiques, serviables, dévouées, ayant une bonne conception du travail bien fait, s’habillant dans une tenue vestimentaire décente, disposant d’une bonne maîtrise de l’orthographe et faisant preuve de tact dans le contact avec autrui. Bref, des jeunes femmes vertueuses et décentes.

Dans le nouveau secteur du «travail de bureau», les femmes occupent rapidement la majorité des postes. Une étude comparée nous enseignerait plus en profondeur sur les modalités et les habiletés féminines qui expliquent l’incorporation rapide des femmes dans les bibliothèques. Aux Etats-Unis et en Angleterre, avec l’avènement de la création de lieux de concentration d’information consultable par le public à la fin du XIXe siècle, les personnes chargées de rassembler et de garder ces collections étaient tout d’abord des hommes. Par la suite, la gestion de ces collections était considérée comme une activité simple et routinière, qui pouvait très bien être exécutée par des jeunes femmes (étudiantes); de plus, celles-ci se contentaient d’une rémunération modique. Parallèlement, en l’espace de trois décennies, le nombre de bibliothécaires femmes va surpasser celui des hommes. Le fondateur de l’association américaine des bibliothécaires (ALA), Justin Winsor, aurait dit en 1877: «(... women) soften our atmosphere, they lighten our labour ...» (op. cit. in Record & Green, 2008, p. 193). On ignore en quoi l’atmosphère était amadouée et le travail allégé, mais aux Etats-Unis, les femmes bibliothécaires constituaient 20% de la profession en 1870, pour en représenter 75% en 1900, et 90% en 1920 (ibid.). Il s’agissait d’une véritable révolution qui mériterait une analyse plus approfondie.

Plus récemment, la révolution informatique a profondément changé le contenu du métier de bibliothécaire, et les technologies informatiques semblent attirer massivement les hommes dans le métier (Golub, 2009; Record & Green, 2008).

Politiques d’égalité (h-f ) et genre

Plusieurs auteurs documentent que la deuxième vague du féminisme dans les années 1970 et 1980 a été à l’origine de politiques et d’actions visant à combattre la contradiction d’une profession féminine avec un cadre à majorité masculine (Golub, 2009; Radford & Rad- ford, 1997; Stadler, 2012). Les résultats de ces politiques et actions semblent ambivalents. Selon le point de vue choisi, le résultat peut être perçu comme positif ou négatif. En premier lieu, on peut observer que certaines femmes arrivent effectivement à des postes de cadre supérieur. Mais les hommes, minoritaires dans la profession, continuent d’occuper majoritairement les échelons supérieurs (Stadler, 2012; Record & Green , 2008). En second lieu, ces pourcentages sont à mettre en relation avec le type de bibliothèque et leur taille. Stadler (2012) montre pour la Suisse alémanique, et cela semble correspondre à ce qui s’observe aux Etats- Unis (Carmichael, 1992), qu’il est plus fréquent que les femmes occupent des postes à haute responsabilité dans les bibliothèques publiques et que les hommes se trouvent dans des bibliothèques universitaires. Il semble également plus probable que les femmes ont des postes de responsables dans de petites bibliothèques, et les hommes dans des bibliothèques de grande taille. Ceci correspond à ce que Stadler (2012) a appelé le mécanisme du double plafond de verre. En résumé, cela veut dire que dans des organisations plus grandes, une première étape de la promotion est de devenir responsable d’un secteur spécialisé, et une deuxième étape serait d’assumer des tâches de gestion (administrative, stratégique et de personnel) plus générales. L’étude de Stadler concernant la Suisse alémanique montre que les femmes restent «coincées» à l’échelon intermédiaire.

L’enquête de Stadler (2012) a avant tout mis l’accent sur les contraintes liées à la difficulté pour des femmes de combiner responsabilités familiales et exigences d’un poste à haute responsabilité. Afin de pouvoir exercer un poste de direction, il faut disposer de compétences et disponibilités spécifiques: don de soi (vocation) qui fait que l’employé dévoué répond aux coups de téléphone, courriels et demandes du travail même pendant les week-ends; accepter la journée de travail sans horaires fixes, car il faut représenter la boîte à toute heure; travailler le soir jusqu’à 22 heures; accueillir positivement toute proposition de promotion interne; socialiser avec ses pairs afin de maintenir un réseau utile pour l’exercice de sa fonction; mettre les exigences du travail au-dessus des demandes de la famille; etc. 

Ce script de l’organisation du travail a une connotation très masculine. Il est intéressant de noter que dans l’échantillon de Stadler, une grande majorité des femmes bibliothécaires à des postes de gestion de haute responsabilité ont choisi de ne pas fonder une famille avec des enfants: elles se savaient ambitieuses et craignaient ne pas pouvoir combiner la réalisation de leurs ambitions professionnelles avec l’éducation des enfants et la gestion convenable d’un ménage et foyer. Dans une recherche portant sur 28 responsables de bibliothèques dans les universités publiques du Michigan en 2003, Voelck a relevé que douze des treize hommes (99%) étaient mariés, tandis que 67% des femmes ne l’étaient pas. Elle en tire la conclusion que les bibliothécaires femmes à des postes à haute responsabilité estiment qu’il est plus difficile de combiner les exigences d’un poste de gestion avec celles d’une famille. Ceci vaut probablement pour bon nombre d’autres métiers. Cependant, la dimension de «vieille fille» du stéréotype sur les femmes bibliothécaires (Radford & Radford, 1997) nous interroge sur la spécificité de ces caractéristiques démographiques, soulevée dans plusieurs études consultées3. 

En guise de conclusion

En 2002, l’Institut de Formation Professionnelle IFP (canton de Vaud) a produit un petit film publicitaire pour recruter des élèves pour la formation en «agent/ agente en information documentaire»4. Il est très intéressant d’observer que les producteurs de ce film ont systématiquement inversé les stéréotypes de genre. La classe est peuplée majoritairement de garçons, tandis que les statistiques montrent que les garçons sont nettement minoritaires dans la formation. Par la suite, une bibliothécaire (f) nous présente la Bibliothèque universitaire de Dorigny, et un bibliothécaire (h) est filmé dans une bibliothèque publique pour la jeunesse. Les statistiques montrent toutefois que les bibliothèques publiques emploient avant tout des femmes, et des bibliothèques universitaires plutôt des hommes.

Les motivations exprimées par les filles et garçons en formation concernent la polyvalence du métier, l’amour pour les livres et le contact avec les utilisateurs. Le film reste en revanche muet sur les échelles salariales et sur le caractère féminin du métier. La focalisation sur les garçons dans le film publicitaire ne peut se comprendre que dans un effort délibéré des responsables de l’IFP de vouloir attirer des garçons et de rectifier les inégalités des chances entre hommes et femmes dans cette formation et ce métier.

L’attractivité du métier d’agente en information documentaire (AID) pour les femmes, exprimée en filigrane par les filles à qui l’on donne la parole, est que ce métier est varié et polyvalent. Ceci ne correspond pas tout à fait aux résultats de l’enquête menée en Suisse alémanique par Stadler (2012). Selon Stadler, les bibliothécaires semblent trouver leur compte dans le métier choisi pour des raisons d’horaires fixes, de possibilité de travailler à temps partiel afin de combiner vie professionnelle et familiale, de polyvalence requise par les activités de réception, d’accueil du public et divers travaux administratifs, du catalogage et classification, peu de chances de carrière interne, donc peu de préoccupations de devoir mener des luttes de pouvoir pour se faire remarquer par la hiérarchie.

Une seule raison exprimée par une des élèves ayant un lien avec le rôle genré de femme en Suisse concernait l’ubiquité du métier. Elle entendait par là qu’il y a des bibliothèques partout et qu’en choisissant ce métier, elle anticipait sur sa vie de future épouse dépendant géographiquement des choix professionnels du mari.

L’attractivité du métier d’AID pour les hommes consiste dans le contact avec le public, la constitution d’un lieu de connaissance et le traitement informatique du livre. La polyvalence et l’absence d’ennui sont également soulignées. On est loin ici du stéréotype de «dames en tailleur avec un chignon» présenté par Radford & Radford (1997). Le choix de produire un instrument de recrutement en utilisant l’inversement du genre est très original et contribue à rehausser l’image du métier qui reste pour des raisons historiques et culturelles exposées, marquée par des inégalités de statut, de pouvoir et de prestige entre femmes et hommes.

Références

  • OFS, Office fédéral de la statistique (2008). Bibliothèques. Données détaillées [Statistique des bibliothèques] www.bfs.admin.ch/bfs/portal/de/index/themen/16/02/02/data.html [dernier accès: 7.8.2010]

  • Carmichael,JamesV.(1992).The Male Librarian and the Feminine Image: A Survey of Stereotype, Status, and Gender Perceptions. Library and Information Science Research, vol. 14, pp. 411–446

  • GREF (2002). «Bibliothécaire, <un joli métier pour une femme>!» Demande de réévaluation de fonction. Genève: Groupe de travail de réévaluation de foncion.

  • Radford, Marie L. & Gary P. Radford (1997). Power, Knowledge, and Fear: Feminism, Foucault, and the Stereotype of the Female Librarian. The Librarian Quarterly, Vol. 67, no. 3, pp. 250-266

  • Record, Aloha & Ravonne Green (2008). Examining Gender Issues and Trends in Library Management from the Male Perspective. Library Administration & Management, Vol. 22, n° 4, pp. 193–198

  • Stadler,Laura (2012). Die Gläserne Deck ein Schweizer Bibliotheken. Chur: Arbeitsbereich Infomationswissenschaft, Schrift 53

  • Voelck, Julie (2003). Directive and Connective: Gender-based differences in the Management Styles of Academic Library Managers. Portal, vol. 3, n° 3, p. 394

Abstract

Ausgehend von einer einfachen Beobachtung stellt die Autorin kurz gefasste Überlegungen an zu geschlechtsspezifischen Charakteristika des Bibliothekenmilieus und zur strukturierenden Macht des Geschlechts bei der sozialen Einschätzung des Berufs und derer, die darin arbeiten.

Sie nimmt dabei insbesondere Bezug auf die Ergebnisse einer Studie von Laura Stadler (2012), die auf Seite 26ff. der vorliegenden Nummer zusammengefasst werden. Reysoo stellt fest, dass die geschlechtsspezifische Struktur des Bibliothekenmilieus eng an die gesamte Organisation der Gesellschaft und an die in ihr herrschenden «Scripts» für das Weibliche und das Männliche gebunden ist. Die Ungleichheiten sind das Ergebnis einer Dialektik, welche aus den Jobgelegenheiten für Frauen auf der einen und dem sozialen Druck, dem Männer ausgesetzt sind, auf der anderen Seite heraus entsteht. Sie unternimmt es zudem, das Übergewicht der Frauen in diesem Beruf aus einer längerfristigen historischen Perspektive zu hinterfragen: Der Sektor «Büroarbeit» kam erst Ende des 19. Jahrhunderts so richtig auf und bietet Mädchen, welche die Sek II abgeschlossen haben, attraktive Berufsmöglichkeiten.

Die Autorin kommentiert zum Abschluss den kurzen Werbefilm, den das Berufsbildungsinstitut IFP des Kantons Waadt produziert hat und mit dem es Schülerinnen und Schüler für die Ausbildung zur «Fachperson Information und Dokumentation» animieren will. Sie sieht in dem Film einen originellen Beitrag, um das Image des Berufs zu verbessern, der aus kulturellen und historischen Gründen immer noch gekennzeichnet ist durch Ungleichheiten zwischen Frauen und Männern bezüglich Status, Macht und Prestige.