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2016/3 Vernichten, um zu bewahren?

La croissance et la maîtrise des masses documentaires

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La surabondance informationnelle tend à devenir une composante fondamentale de la réflexion archivistique depuis quelques années, car elle agit sur les pratiques professionnelles et en modifie les processus. En outre, la croissance irréversible de l’informatique amplifie les phénomènes de masses, en en changeant le cadre d’expression et d’archivage. Celui-ci a toujours été lié à la notion de masse, indissociable du nombre de documents ou du volume d’informations.

L’information est partout, elle est présente à tous les étages de la société et envahit l’ensemble des canaux de diffusion. Les masses documentaires se sont en conséquence intensifiées et diversifiées. Or cette surabondance informationnelle tend à devenir une composante fondamentale de la réflexion archivistique depuis quelques années, car elle agit sur les pratiques professionnelles et en modifie les processus. Elle est également un facteur discriminatoire entre les institutions chargées de l’intégrer à leur politique conservatoire, car elle dépasse souvent leurs possibilités d’accueil et met en cause les approches inadaptées aux exigences de son traitement. Enfin, la croissance irréversible de l’informatique amplifie les phénomènes de masses, en en changeant le cadre d’expression et d’archivage. Leur maîtrise ne peut pas se contenter de la simple accumulation au nom des capacités techniques offertes par les nouvelles technologies.

Les archivistes ont à l’évidence leur place dans ce débat, tant au travers de leurs concepts et outils de gestion que par leur commerce familier des documents. L’archivage a toujours été lié à la notion de masse, indissociable du nombre de documents ou du volume d’informations.

Une terminologie parlante

De nombreuses expressions sont apparues, ces dernières années, pour caractériser le déluge des informations que l’informatique génère, permet de partager et de diffuser sans limite de lieu ni de temps. Elles s’habillent des termes: «infobésité», «inforrhée», «big data», «déferlement», «inflation», «globalisation», «prolifération», «exaflood»; et de formules imagées: «augmentation effrénée et exponentielle des données», «boulimie d’informations», «gonflement hypertrophique de la mémoire», «flux grossissant et bouillonnant de données». Les raisons de l’accroissement des masses qui débutent dès la fin des années 1970, donc avant les nouvelles technologies, sont à chercher dans l’élargissement des domaines d’intervention de l’administration, de la complexification des dossiers traités, de la multiplication des procédures paperassières et de la dilatation des notions patrimoniales. Parallèlement, les demandes sociétales et citoyennes ont crû fortement sous les effets de la transparence administrative, et avec le souci d’interpeller davantage les autorités sur leurs décisions passées et présentes.

L'archiviste doit traiter des masses de documents qui arrivent souvent en vrac et sans description. © Archives cantonales vaudoises, Olivier Rubin, photographe, 29 juin 2004

Le mètre linéaire, une mesure étalon emblématique dans une archivistique des flux

Selon le Dictionnaire de terminologie archivistique des Archives de France (2001), le mètre linéaire est l’«unité de mesure des archives correspondant à la quantité de documents rangés sur une tablette d’un mètre de longueur». Certes, il ne s’évalue pas par le volume, le poids, le support, le mode de rangement et le conditionnement des documents et, de ce fait, sa compréhension présente une certaine élasticité. Mais, par contre, il souligne que les archivistes ont pris très tôt l’habitude de recevoir des archives par lots, par fonds (cela induit le respect et l’unité du fonds). En comparaison, les professions voisines de bibliothécaire, de documentaliste et de muséographe sont attachées à compter leur accroissement par unité, par objet ou par individu, et parlent de collections. En bibliothéconomie, on ne calcule pas le taux d’enrichissement des collections mais plutôt le taux d’accroissement ou le taux de renouvellement, ce qui permet de déterminer de combien de volumes s’accroît ou diminue la collection. Le désherbage fait partie de la gestion cou-rante de la plupart des bibliothèques.

Par contraste, dans les lois y relatives, les archives des autorités sont inaliénables; elles ne peuvent pas être acquises par prescription. Autrement dit, ce qui est conservé dans un dépôt d’archives ne peut qu’augmenter.

Les documents d’archives sont par définition uniques, ils n’ont pas leur correspondant dans une autre institution. Ils sont porteurs d’une valeur probatoire (ils servent de preuve de l’exécution d’une activité). Ils doivent être conservés dans leur forme originale et leur environnement originel. Les institutions d’archives doivent assumer l’hybridité de la conservation. La numérisation des documents est conçue pour leur sécurité et leur diffusion, nullement pour leur substitution.

Avec la dématérialisation progressive des procédures, le métrage linéaire perd de sa pertinence au profit de la volumétrie qui s’exprime désormais en octets, accompagnés d’un multiple: kilo-, giga-, téra- ou penta-. La courbe du poids numérique, en raison de la lourdeur de certains formats, tend à prendre l’ascenseur et dépassera largement celle des documents analogiques. Ce qui est gagné en espaces physiques par la donnée virtuelle, est largement contrebalancé par les coûts de versements et de maintenance des données électroniques.

Des chiffres exemplaires

Le 2 juin 2016, la Conférence des directrices et des directeurs d’Archives suisses a publié pour la première fois les statistiques des archives conservées et accessibles en Suisse: 370 kilomètres dont 31 kilomètres d’accroissement pour la seule année 2013. Les changements d’échelle quantitatifs les plus spectaculaires, ces dernières années, se vérifient en particulier pour les collections photographiques de presse. Un fonds ou une collection dépassant le millier de photographies constituait naguère l’exception, aujourd’hui, l’ordre de grandeur est passé en peu de temps à la centaine de milliers, au million, voire à plusieurs millions. C’est ainsi que les Archives du canton d’Argovie ont reçu, en 2009, du plus important groupe de presse de Suisse, Ringier, 7 millions de tirages photographiques, négatifs, etc. Depuis 2013, ce sont près de 2 millions d’enregistre-ments informatiques supplémentaires qui ont été créés. En août 2015, les Archives cantonales vaudoises ont acquis leur plus imposant fonds d’archives para-administratives et privées, la Fondation vaudoise du patrimoine scolaire, de 420 mètres linéaires. Ces quelques chiffres donnent l’ampleur des défis à relever par les institutions patrimoniales dont les dépôts d’archives émergent.


Des fonds d'archives traités, c'est-à-dire reconditionnés et décrits dans un inventaire, afin de pouvoir retrouver l'information recherchée. © Archives cantonales vaudoises, Olivier Rubin, photographe, 21 février 2012

L’impact des masses sur les pratiques professionnelles

Le rôle des archives a longtemps com-mencé au moment où les secteurs d’activité ont fait appel à elles pour se défaire des dossiers qui encombraient leurs locaux. Archivage et élimination ont été des concepts antinomiques jusqu’au milieu du XX1 siècle, les archivistes n’ayant été compris que comme des conservateurs tant dans leurs pratiques que dans leur approche intellectuelle. Dès les années 1950, l’autorisation d’éliminer des documents est confiée en Suisse aux seuls archivistes par les lois et les règlements. On commence à mesurer les limites des politiques de la conservation.

Depuis, la massification impose aux institutions patrimoniales de revoir leurs critères d’acquisition, leurs méthodes de gestion et d’examiner les possibilités de concertation et de mutualisation des engagements.

D’une attitude attentiste, voire passive, l’archiviste est désormais amené à intervenir sur le cycle de vie, dès l’amont de la vie de l’information jusqu’à son sort final: élimination (dans la grande majorité des cas) ou versement aux archives. Le modèle fonctionnel, Records Management, décrit toutes les étapes de la procédure, du temps de la production au temps de l’activité, et du temps de l’activité au temps historique. Si tous les documents naissent archives, ils ne sont pas appelés à être pour autant historiques. L’informatique a rendu à la fois caduque la notion d’original pour la remplacer par celle d’authentique, et suranné le «séquençage» des trois âges pour lui préférer le cycle de vie au continuum. Le plan de classement et le calendrier de conservation ont pris leur pleine place dans le dispositif de l’archivage, le premier désormais fondé sur les missions et les activités du produc-teur, le second décrivant les types de documents produits et leur fixant les durées d’utilité administrative et d’utilité légale de chaque nature de documents, ainsi que leur sort final – ces analyses sont traduites en métadonnées qui constituent l’ADN du document concerné. Les normes archivis-tiques, à valeur universelle, permettent l’analyse hiérarchique et la description à plusieurs niveaux, modulaires. L’unité archivistique est adaptée selon la qualité et l’importance des documents à décrire. Il n’est pas étonnant que dans la norme de description générale et internationale de description archivis-tique (ISAD/G) le champ «Contenu» soit un champ facultatif, alors que les champs «Information sur le producteur» et «Information sur le traitement» doivent être renseignés. Cela traduit la primauté du contexte de production sur le contenu de l’information.

Dans le déplacement du curseur de l’intervention de l’archiviste dans la chaîne de l’archivage, il ne faut pas y voir seulement les effets de l’informatique; plusieurs pratiques sont antérieures à l’apparition des nouvelles technologies, le Records Management étant déjà appliqué aux documents analogiques. Il faut pouvoir planifier les versements, juger de la pertinence historique et de l’organisation interne de chaque fonds. Chaque étape de l’archivage est désormais encadrée par des normes qui sont autant d’obligations organisationnelles que techniques pour garantir le parcours sécurisé de l’information, mais surtout pour lui donner les contraintes de l’authenticité, de l’intégrité, de la fiabilité et de l’exploitabilité. A la différence de leurs prédécesseurs, les archivistes, tout en demeurant, au terme du cycle de vie, les dépositaires de la mémoire historique, sont présents dès les débuts de l’archivage. En guise de preuve, toutes les mises au concours des postes de records managers intervenues en Suisse dans les administrations publiques font dépendre cette fonction des archives, chargées de conduire et de contrôler la politique de l’archivage au niveau de toute l’administration et, selon les cas, de formuler la politique de gouvernance de l’information.

L’évaluation au cœur des politiques d’archivage

Lors de la double enquête systématique sur l’archivage dans l’administration cantonale vaudoise, entreprise entre 1996 et 1998, les chiffres suivants avaient été relevés: 48 000 mètres linéaires de documents attendaient dans les locaux d’être évalués: 30 000 mètres linéaires pour l’administration cantonale et 18 000 mètres linéaires pour l’Ordre judiciaire. Les Archives canto-nales vaudoises conservaient alors dans leur bâtiment, inauguré en octobre 1985, 25 000 mètres linéaires d’archives pour une disponibilité de locaux de 36 000 mètres linéaires. Face à de telles masses en souffrance, et au manque d’inventaires des masses conservées, que faire valoir auprès des autorités de tutelle, empêtrées dans des difficultés financières sans précédent? La construction d’un bâtiment nouveau? La conservation intégrale des documents, à ajouter progressivement aux fonds déjà existants et dans l’attente de nouvelles surfaces?

Pour ne pas risquer de reléguer les Archives cantonales à une institution subalterne et isolée, il a fallu proposer un plan d’action sur dix ans et des stratégies pour accomplir les objectifs du programme. Une des formulations fortes a été le recours à l’évaluation avec sélection. Près de 20 ans plus tard, le bâtiment des Archives cantonales vaudoises a été densifié jusqu’au maximum de ses capacités (56 000 mètres linéaires) et la couverture des inventaires atteint 98% des fonds existants. Une telle politique qui a nécessité la rédaction de deux Exposés des motifs et projets de décret adoptés par le Grand Conseil en mars 2006 et en juin 2015 n’aurait pas pu être appliquée sans l’affirmation que l’élimination fait partie d’une bonne gestion. Autrement dit, la conservation passe nécessairement par l’élimination. L’archiviste est davantage qu’un spécialiste des rebuts, il doit être reconnu pour ses compétences d’évaluation – celles-ci doivent être exercées dans la plus grande transparence, les choix étant consignés dans un bordereau d’élimination.

De notre point de vue, il n’est pas justifiable, à l’ère numérique, de se priver de ce fondement de l’archivistique du fait que les capacités techniques permettent de réaliser la conservation intégrale. A quel prix, selon quelles certitudes et quelles contraintes? C’est opter pour une archivistique du mouvant et entrer dans une spirale explosive des coûts pérennes. Toute approche fondée sur la seule accumulation doit être combattue; elle est insoutenable sur la durée (c’est une fuite en avant) et inconséquente. Des parts sont appelées à périr, d’autres à être oubliées au nom de la protection des données. Le grand risque encouru par une telle posture est double: l’abandon de l’évaluation et le transfert de la responsabilité aux producteurs de données, très éloignés des besoins hors du temps administratif. Il n’est pas possible de laisser la mémoire se définir par elle-même, surtout dans l’univers numérique 2, 3, où l’information est souvent extrêmement éclatée et particulièrement volatile.

L’inventaire, l’indicateur de la maîtrise des masses

On a pris l’habitude dans le monde professionnel d’afficher les résultats selon un certain nombre d’indicateurs: nombre de fonds d’archives, métrages linéaires, effectifs, ressources informatiques, pôle numérique, etc. De notre point de vue, un indicateur est peu avancé par les institutions patrimoniales, c’est celui du taux de couverture des inventaires. Seule la rédaction d’inventaires permet de faire exister les masses documentaires 4et de leur donner une reconnaissance. Dans ce contexte, l’inventaire n’est pas seulement un outil archivistique, mais également un outil de gestion. Avec la norme ISAD/G, il peut être modulé selon les réalités institutionnelles et l’importance quantitative et qualitative des documents. Il doit rester un atout, dans le sens que selon les quantités, l’archiviste doit préférer un inventaire avec des niveaux de description généraux à un inventaire détaillé qui ne se terminera jamais 5. C’est sans doute grâce à la flexibilité et la variété de ses méthodes de travail que l’archiviste peut le mieux répondre aux phénomènes de masses documentaires et qu’il est le plus habilité à les maîtriser.

Coutaz Gilbert 2016

Gilbert Coutaz

Gilbert Coutaz a été directeur des Archives cantonales vaudoises de 1995 à 2019. Il a présidé l’Association des archivistes suisses entre 1997 et 2001, après avoir été membre du Comité directeur de la Section des Associations professionnelles d’archivistes du Conseil international des archives entre 1992 et 2000. Pour ses mérites, l'AAS l'a nommé membre honoraire en septembre 2019.

Membre de plusieurs comités de sociétés d’histoire, il est à l’origine en 1998 de Réseau-PatrimoineS Association pour le patrimoine naturel et culturel du canton de Vaud, en 2004 de COSADOCA (Consortium de sauvetage documentaire en cas de catastrophe), et en 2011 de Mnémo-Pôle.

Entre 2006 et 2014, il a enseigné l’archivistique aux Universités de Berne et de Lausanne dans le cadre du Master of Advanced Studies in Archival, Library and Information Science (MAS ALIS). Il est notamment l’auteur de Archives en Suisse. Conserver la mémoire à l’ère numérique paru en 2016.

  • 1 e
  • 2 Coutaz, Gilbert, Archives en Suisse. Conserver la mémoire à l’ère numérique. Lausanne,
  • 3 Presses polytechniques et universitaires romandes, 2016, 131 p. (Opinion)
  • 4 Coutaz, Gilbert, «Le paradigme de l’évalua-tion: l’élimination, inséparable de la conservation. Quelques réflexions autour des pratiques des Archives cantonales vaudoises en matière d’arechives officielles», in: Revue suisse d’histoire 51, 2001, pp. 487–494. 
  • 5 Coutaz, Gilbert, «Enquête systématique sur l’archivage dans l’administration cantonale vaudoise», in: Rapport d’activité des Archives cantonales vaudoises 1998. Lausanne, Archives cantonales vaudoises, 1999, pp. 30–42. 

Abstract

Dem Wachstum der Dokumentenmasse Herr werden

Information ist überall, sie ist auf allen gesellschaftlichen Ebenen gegenwärtig und überflutet sämtliche Kanäle. Die Dokumentenmassen sind dementsprechend gross und vielfältig. Dieser Informationsüberfluss hat seit einigen Jahren die Tendenz, archivarische Überlegungen zu beeinflussen, denn er hat Auswirkungen auf die professionnelle Praxis und verändert Abläufe. Er stellt eine grosse Herausforderung dar für Institutionen, die damit beautragt sind, diesen Informationsüberfluss in ihre Konservierungspolitik zu integrieren, da dies oft ihre Kapazitäten übersteigt und Vorgehensweisen infrage stellt, die den Anforderungen nicht gewachsen sind. Schliesslich verstärkt das irreversible Wachstum von Information das Massenphänomen, da Ausdrucksformen, und damit auch deren Archivierung, sich ändern. Eine reine Akkumulation ist nicht ausreichend, auch wenn dank neuen Technologien mehr technische Kapazitäten zur Verfügung stehen, um diese Massen an Information bewältigen zu können.

Die Archivare sind selbstverständlich Teil dieser Debatte, sowohl durch ihre Konzepte und Werkzeuge wie auch durch ihre Vertrautheit mit Dokumenten. Die Qualität der Verzeichnung (Inventar) ist daher für die Identifizierung von relevanten Informationen entscheidend. Die Archivierung war schon immer eng verknüpft mit dem Begriff Masse, sowohl mit der Dokumentenmenge wie mit dem Informationsvolumen.