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2021/4 Das Dokument, das unbekannte Wesen

Pertinence et impertinence des archives familiales – Partie I

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Être confrontée à des archives familiales à côté de son travail d’archiviste, cela revient à s'interroger sur plusieurs fondamentaux de l’archivistique contemporaine, à commencer par les concepts de «documents d’archives» et de «fonds d’archives».

Quelques définitions archivistiques

Un document d’archives peut être défini comme un «ensemble constitué d'un support et de l'information qu'il porte, utilisable comme preuve ou à des fins de consultation» et les archives comme «l'ensemble des documents [...] produits ou reçus par toute personne physique ou morale [...] dans l’exercice de leur activité»1, 2.

Dans ces définitions des archives et du document d’archives, la notion de producteur – qui renvoie aux principes de provenance et de respect des fonds d’archives – est essentielle3. Le fonds d’archives doit refléter les activités de son producteur et les documents d’archives doivent si possible être intègres, authentiques, fiables et exploitables. L’archiviste doit donc conserver l’ordonnancement et les liens organiques des documents qui composent le fonds, afin de pouvoir servir d’éléments de preuve et de mémoire aux utilisations futures.

Le fonds d’archives s’oppose en principe à la collection ou à la documentation, qui est un mélange de documents collectés selon les centres d'intérêt d’une personne physique ou morale.

Cela, c’est pour la théorie. Quid de ces concepts à l’aune d’archives familiales, de différentes provenances, mais reliées entre elles par le jeu des alliances?

De la réalité de «mes fonds» d’archives familiales

Les archives familiales4 sont des documents concernant une famille qui s'accumulent au fil du temps, par exemple des certificats de naissance, des passeports, des photographies et vidéos, de la correspondance, des certificats d’examen, des journaux intimes. Elles peuvent être considérées comme une sous-catégorie des archives privées5, dont la transmission et la conservation tiennent généralement plutôt de hasards liés à des facteurs émotionnels qu’à des besoins juridiques ou historiques d’une famille6.

Dans ma pratique des archives familiales, j'ai affaire à des fonds d’archives qui s’apparentent à des gisements archéologiques profondément remaniés en raison des «activités» naturelles de ma(mes) famille(s), dont les strates ne sont pas clairement compréhensibles, avec de nombreux «artefacts» partagés entre plusieurs sites producteurs.

Exemples d’une boîte intitulée «Photos quotidiennes avant 1945» provenant de ma grand-mère.

Photos de ma grand-mère
CC BY-SA Gilliane Kern

Dans les faits, ces photographies courent des années 1860 (probablement collectées par la grand-mère ou les arrières-grands-parents de ma grand-mère) aux années 1990 (ma grand-mère et ses activités). Ces images couvrent environ sept générations.

Par chance, la plupart de ces images ont été légendées, sur le moment ou à postériori, avec des noms (détaillés ou aussi succincts que «un oncle Frédéric») et parfois des lieux et des dates.

Cette boîte contient également des documents d'identité avec photo passeport.

En consultant des albums photographiques de membres plus éloignés de la famille, conservés dans d’autres archives familiales, on trouve les mêmes images ou des compléments de ces informations, ce qui permet, au terme de recherches fastidieuses, de recomposer les visages anciens de nos familles.

Ainsi, si les archives héritées de mes grands-parents proviennent apparemment de deux producteurs (ma famille paternelle et ma famille maternelle) et constituent donc à priori deux fonds d’archives distincts, il se dégage aussi de ces deux fonds clos:

  • d'une part les archives personnelles de chacun de mes quatre grands-parents,
  • d'autre part des archives qui n’ont manifestement pas été produites par mes grands-parents, qui ont été collectées au fur et à mesure des échanges ou héritages entre familles, parfois sur plusieurs générations, sans que les traces de ces successions soient documentées.

Il résulte de ces successions des trouvailles tout à fait fortuites, par exemple des albums anciens de photographies ou des arbres généalogiques dans des meubles récupérés par mes parents chez des «cousins» décédés. Si le lien de ces «archives» avec la famille ne fait aucun doute par les informations qu'elles contiennent, leur provenance exacte est tout à fait inconnue.

Exemple d’un album ancien avec des portraits cartes-de-visites (datant entre 1860 et 1890) retrouvé par hasard dans un meuble, dont le lien avec la famille de mes arrières-arrières-grands-parents a pu être fait en fonction des légendes.

Nature des «documents d’archives» de familles

Outre les documents d’archives «administratifs» usuels tels des documents d’identité, diplômes, abonnements, testaments, etc., mes ancêtres ont naturellement conservé de nombreux souvenirs sous forme d’albums de photographies, de films, de notes personnelles, d'arbres généalogiques, de correspondance et, cela est moins connu, de nombreux «objets» exposés ou encore utilisés dans ma famille: linges avec initiales de mes grands-mères et arrières-grands-mères, bijoux de famille, habits confectionnés par mon arrière-grand-mère couturière, livres écrits par mon arrière-arrière-grand-père pasteur (avec parfois un autographe), bibles des mes grands-pères et de mon arrière-grand-père avec registres de famille (considérés comme «objets» de bibliothèque par mes parents), tableaux avec des portraits (encore faut-il savoir de qui il s’agit), meubles ayant appartenu à mes ancêtres, etc.

Le tout est de réussir à les identifier et les documenter, puis, une fois qu’il ne sont plus utilisés par la descendance, de tenter de les récupérer avec leur «histoire». À noter que certaines photographies d’archives, jugées à priori peu intéressantes, permettent parfois de contextualiser ces «objets» en les représentant dans un lieu ou avec une personne, à une date donnée.

Diversité des documents d'archives familiales: ne pas oublier les nombreux «objets» qui racontent d'autres histoires que les documents administratifs et qui sont parfois toujours utilisés!
CC BY-SA Gilliane Kern

Parmi ces «objets» des temps passés, on retrouve naturellement d’autres «archives» collectées par mes ancêtres pour documenter leur histoire familiale. Si certains sont des originaux (tel un passeport de mon ancêtre en 1860 de provenance inconnue), la plupart de ces documents d'archives sont des copies de toutes sortes et de toutes dates.

Du rôle des copies et de la documentation

Dans mes archives familiales, on trouve donc des copies, des copies et encore des copies à ne plus savoir qu’en faire. En bonne archiviste, j’ai bien appris que je pouvais les éliminer sans autre, surtout s’il s’agissait de documentation que je pourrais reproduire en allant chercher la source originale.

Oui, mais…

  • Mais voilà que je me mets moi aussi à fabriquer de nouvelles copies (numériques) en reproduisant à tire-larigot des informations concernant ma famille, trouvées dans la presse régionale, dans des livres et revues ou dans d’autres archives institutionnelles ou familiales, notamment pour illustrer mes recherches généalogiques.
  • Voilà que je découvre que mon grand-père en a fait de même en se documentant sur sa famille, et que j’ai récupéré dans ses archives toutes ces photocopies d'archives, de livres et de revues.
  • L’un de mes ancêtres, vers 1820, a aussi fait recopier – dans un cahier qui ne paye pas de mine – des extraits de registres paroissiaux sur ses parents, lui-même et son épouse, avant de compléter ce cahier de sa main à la naissance de ses enfants. Ce cahier est le plus ancien document conservé dans «mes fonds» d’archives familiales.
  • Les tirages photographiques sont par essence des «copies» d’un négatif (qui n'a pas forcément été conservé) que l’on peut distribuer à toute la famille. Il n’est donc pas étonnant que je «revive» mon premier Noël dans quatre «fonds» d’archives différents: chez mes grands-parents, dans un album de mes parents et dans les photographies de mon oncle (photographies qu’il m’a d'ailleurs données il y a plusieurs années, quelle est donc leur provenance?).
  • Enfin, je constate que ma grand-mère et moi-même avons découpé et conservé les mêmes coupures de la presse régionale où l'on me voit en photo, et que j'ai dorénavant en deux exemplaires ces documents publiés, sans compter celui que l'on peut retrouver dans les archives du journal en question.
Des copies, des copies, toujours des copies (extraits de registres recopiés, photocopies de revues, tirages photographiques, coupure de presse, copies numériques d'archives conservées ailleurs, ...)
CC BY-SA Gilliane Kern

Suite à ces exemples, j’ai donc appris à ne pas éliminer des «copies» sous prétexte qu’on pouvait les retrouver ailleurs, car chacune d’entre elle raconte sa propre histoire et justifie sa provenance.

J’ai appris également à concevoir ces «copies» plutôt comme des «instantiations», à savoir des représentations physiques d’un même contenu intellectuel («record ressource») qui peut se retrouver dans différentes archives7.

Cette vision nous entraîne vers une perception multidimensionnelle de ces archives où chaque document peut être librement retrouvé selon les personnes, les lieux, les objets ou les événements qui y sont figurés, quel que soit leur origine. À mon avis les archives familiales constituent une excellente matière pour développer ces réseaux de données dont le cœur n'est plus forcément la provenance des documents, mais leur pertinence8.

Du traitement de ce type d'archives

Si nous analysons «mes» archives familiales d'après les définitions archivistiques ci-dessus, nous avons des fonds d'archives contenant des collections de documents qui ont été conservés selon des facteurs émotionnels dans le cadre d'une activité familiale usuelle. Ces archives contiennent autant des documents originaux collectés que des copies faites par leur producteur. Pour les fonds clos hérités de mes grands-parents, il est illusoire d'en respecter l'ordre, car ils ont été remaniés à plusieurs reprises par plusieurs personnes et il n'est pas possible d'en comprendre le sens. Leur «producteur» ne reflète que le dernier propriétaire de ces fonds et non les logiques antérieures d'acquisition qui n'ont jamais été documentées.

Si les caractéristiques de ces documents ont pu être, à un moment donné, leur intégrité et authenticité pour servir de preuve, ce n'est pas toujours le cas, surtout pour les documents collectés à postériori par la famille sur la famille. Leur finalité est de servir de «source» (primaire ou secondaire) pour l'histoire de la famille.

La frontière entre «archives» (produites) et «documentation» (collectée) n'est pas toujours claire et elle n'importe pas ici, puisque le prisme de recherche est plus la pertinence que la provenance.

Partant de ce constat, je me suis contentée pour le moment de documenter et de numériser une partie des différents fonds d’archives familiales que j'ai pu retrouver et d'effectuer en parallèle des recherches généalogiques pour identifier les liens entre les personnes mentionnées.

Archives familiales: copies (numériques) d'actes d'état civil de diverses provenances collectées par moi et rassemblées selon mes besoins par date et personnes, rejoignant en cela les photocopies collectées par mes grand-parents dans leurs archives.
CC BY-SA Gilliane Kern

Pour le traitement lui-même et la diffusion de ces archives, je n’ai pas encore trouvé de façon qui me convienne pour procéder, malgré l'existence de plusieurs guides pratiques à disposition du grand public (voir ci-dessous) et de structures qui ont cette mission (par exemple les Archives de la Vie Ordinaire à Neuchâtel dans la région qui me concerne).
Pour cela, la piste la plus intéressante me semble être le modèle Records in Contexts basé sur les données liées. J'espère vous faire part de mes réflexions à ce sujet dans une partie II de cet article ces prochains mois.

Pour en savoir plus:

Outre la formation Organiser les archives familiales du Conseil international des archives, voici quelques guides pour aider les particuliers à prendre en charge leurs documents de famille:

Kern Gilliane 2012

Gilliane Kern

Master of Science en Information documentaire en 2011 à la Haute école de gestion de Genève, conjointement avec l’École de bibliothéconomie et des sciences de l'information (EBSI) de l'Université de Montréal.

Archiviste et conseillère en gestion documentaire depuis 2012 pour la société docuteam, elle est membre de la direction et responsable en Suisse romande des projets de gestion de l’information, du Service intercommunal d’archivage dans le canton de Neuchâtel (SIAr) et représentante des activités en archivage électronique.

Elle fait partie du comité de rédaction d'arbido depuis 2014 et du comité de l’Association des archivistes suisses (AAS) depuis 2015.

Sous le pseudo Gilliane, elle est aussi wikimédienne et cherche à optimiser le travail des archivistes (et autres professionnel·le·s GLAM) par les outils Wikipédia, Wikidata, Wikimedia Commons et Wiktionary.

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Les archives familiales reflètent des pratiques d'acquisition diverses qui sont rarement documentées. Elles comprennent autant des «archives» (produites ou collectées) que de la «documentation» (collectée), si bien qu'il n'est pas toujours facile de distinguer quelle est la «provenance» de ces archives.

Le traitement de ce type d'archives dans un contexte personnel permet donc de s'interroger sur plusieurs fondamentaux de l’archivistique contemporaine, à commencer par les concepts de «documents d’archives» et de «fonds d’archives».