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2020/ Abbild und Inszenierung der Gesellschaft

Militantisme féministe : pour une bibliothéconomie critique

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A l’instar des mouvements féministes grandissants, la société se mobilise de plus en plus. La question de l’engagement se pose alors autant du point de vue individuel que collectif, au sein des institutions. Mais comment conjuguer valeurs professionnelles et cultures politiques en tant que professionnel.le.s de l’information ?

Depuis quelques années, on constate une imprégnation croissante du féminisme parmi la société. Le nombre de manifestations se multiplie dans le monde afin de dénoncer l’oppression des femmes par le système patriarcal et rendre visible la diversité des discriminations subies. Les luttes féministes se réinventent et se veulent aujourd’hui plus inclusives et intersectionnelles ; la convergence des luttes est de mise et on questionne autant les identités de genre, les notions de classe et de race ainsi que l’orientation sexuelle et le rapport à l’environnement. Les mouvements appellent davantage la société civile à se mobiliser activement ; marche mondiale des femmes et campagne #metoo, ces exemples témoignent de la prise de conscience de la nécessité de l’engagement féministe et de ce nouvel élan contestataire. Le 14 juin 2019, la Suisse a vu des milliers de personnes descendre dans les rues pour manifester et répondre à l’appel de la Grève des femmes (lire l'article sur les archives de la Grève des femmes dans le même numéro).

Cet événement a été l’occasion pour les personnes autant que les institutions de se positionner et prendre part, activement ou non, à cette action. Les bibliothèques, archives et centres de documentation n’ont pas fait exception.

Mais au-delà des problématiques de fond, cette journée du 14 juin a aussi permis de poser la question de l’engagement militant. Ce qui peut apparaître, de prime abord, comme des considérations d’ordre individuelles a de fait glissé vers le collectif par l’organisation de cette manifestation et la volonté de porter le débat dans l’espace public. De ce point de vue, les professionnel.le.s de l’information et leurs institutions n’ont pas été épargné.e.s. Mais a-t-on le droit de se revendiquer bibliothécaire militant.e au sein d’une institution publique ?

De tout temps, les bibliothèques, archives et centres de documentation ont été de formidables laboratoires d’observation autour des questions de société, du fait de leur proximité, tant avec la sphère publique sociale et la sphère politique, puisque souvent à cheval entre les deux. Inévitablement concernés par les enjeux d’un tel événement, ces lieux ont cherché la meilleure façon de se positionner, de soutenir l’action de cette grève et surtout de trouver la bonne mesure dans leur engagement. Toutefois, ces questions d’engagement et de prise de position revendiquée révèlent en réalité la tension qu’il peut parfois exister entre les valeurs professionnelles et les cultures politiques au sein de ces institutions.

L’histoire des bibliothèques et des archives témoigne d’un réel paradoxe dans la position adoptée par les professionnel.le.s sur la question de l’engagement militant. D’une part, on constate de nos jours une plus grande porosité entre la société et les bibliothèques, qui cherchent à créer des liens et encourager les expériences participatives. Cela marque une réelle distanciation avec les politiques passées beaucoup plus enclines à préserver les bibliothèques comme temples de savoir. Conscient.e.s aujourd’hui que la problématique de l’accès à l’information et au savoir va parfois de pair avec une forme de militantisme, les professionnel.le.s sont plus disposé.e.s à intégrer un engagement sociopolitique à leurs pratiques. Mais d’autre part, une certaine tension semble persister entre la dimension politique du métier et le devoir de neutralité.

La neutralité est souvent présentée comme le principe fondateur du développement des bibliothèques, permettant de donner l’opportunité à tou.te.s de construire un jugement intellectuel libre et ainsi participer aux débats de la société. On sait pourtant qu’il est illusoire de considérer que les bibliothèques, archives et centres de documentation aient pu se construire indépendamment du contexte culturel, social et politique des époques dans lesquelles elles s’inscrivent et dont elles sont inévitablement le reflet. Encore trop peu analysé, ce lien interroge pourtant la notion de neutralité des institutions. On sait par exemple que la volonté de représentation et de considération de la totalité des savoirs est souvent mise à mal sitôt qu’on touche à la question de la visibilité du travail des femmes au travers des politiques documentaires. De même que les systèmes de classification, pour la plupart élaborés par des hommes blancs occidentaux du 19ème siècle, traduisent une vision stigmatisée et ethnocentrée du monde. Ces pratiques professionnelles représentent des choix partisans et incarnent des valeurs politiques.

Critical librarianship is an international movement of library and information workers that consider the human condition and human rights above other professional concerns. (Toni Samek, 2007)

Créé en 2007 par Toni Samek, le concept de bibliothéconomie critique (critical librarianship) vient directement questionner ce principe de neutralité, généralement revendiqué dans les pratiques et discours professionnels. Ce courant de pensée considère que les institutions sont toujours porteuses d’un système de valeurs du fait de leur imbrication avec la société, ce qui les rend activement ou passivement complices de ces systèmes et donc idéologiquement non-neutres. Très implanté dans le monde anglophone, notamment via le groupe américain Progressive Librarians Guild, ce mouvement défend l’idée que « les bibliothèques pour le peuple ont été l'un des principaux ancrages d'une sphère publique libre étendue qui rend possible une société civile démocratique indépendante, ce qui doit être défendu et étendu. » (traduction libre).

Partant de ce constat, il devient alors nécessaire de problématiser les biais et les idées reçues qui s’infiltrent dans les pratiques professionnelles afin d’offrir un lieu représentatif des enjeux et préoccupations sociales. Un lieu propice à la diversité et à l’émancipation des individus et des communautés qui le fréquentent. Quitte à militer car, oui, cela est politique.

Pour approfondir le sujet:

  1. « Quand la bibliothéconomie devient critique », A babord ! Revue sociale et politique, no 73, février/mars 2018. [en ligne] (consulté le 27.05.2020).
  2. « Critical Librarianship : an interview with Toni Samek » [en ligne], 2007 (consulté le 27.05.2020).
  3. Beilin, Ian G., « Critical Librarianship as an Academic Pursuit » [en ligne], 2018 (consulté le 27.05.2020).
  4. Nunes, Zita Cristina, « Remembering the Howard University Librarian Who Decolonized the Way Books Were Catalogued » [en ligne], 2018 (consulté le 27.05.2020).

Abstract

Cet article traite de la question de la légitimité d’un engagement militant au sein des bibliothèques, archives et centres de documentation. Il l’aborde à partir de l’exemple de la manifestation féministe du 14 juin 2019 en Suisse qui a parfois permis de révéler les tensions qui existent entre valeurs professionnelles et cultures politiques dans les institutions. Cet article tente d’apporter quelques pistes de réflexion autour des concepts de neutralité et de bibliothéconomie critique.

Dieser Artikel befasst sich mit der Frage nach der Legitimität eines aktivistischen Engagements in Bibliotheken, Archiven und Dokumentationszentren. Er greift diese Frage am Beispiel der feministischen Demonstration vom 14. Juni 2019 in der Schweiz auf, die zeitweise die Spannungen zwischen beruflichen Werten und politischen Kulturen in den Institutionen aufzeigte. Dieser Artikel versucht, einige Denkanstöße zu den Konzepten der Neutralität und des kritischen Bibliothekswesens zu geben.