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Trésors des Archives cantonales vaudoises

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Dans un bel ouvrage, richement illustré, Gilbert Coutaz, ancien directeur des Archives cantonales vaudoises (ACV), nous propose une immersion dans les fonds d’archives, qu’ils soient d’origine publique ou privée, rassemblés au fil des siècles et des péripéties de l’histoire vaudoise.

L’auteur renoue ainsi avec un genre qui eut ses heures de gloire aux XIXe et XXe siècles, la présentation de pièces d’archives, mais, ce faisant, il renouvelle sensiblement la conception et l’approche des documents: là où les érudits des siècles passés extrayaient des fonds d’archives les pièces les plus prestigieuses et les plus belles, les isolant en quelque sorte et les arrachant à leur contexte archivistique, Gilbert Coutaz s’emploie au contraire à contextualiser et à placer les documents dans leur environnement archivistique, institutionnel et administratif.

Tradition archivistique vaudoise

Dans une première partie, l’auteur brosse un «portrait» de l’institution née en août 1798, dans la foulée de la Révolution helvétique et de la création du Canton du Léman, qui ont d’un seul coup fait passer d’importantes masses d’archives d’une fonction de justification de droits (féodaux) à celle de patrimoine historique. Dès leur origine, les ACV conservent ainsi l’un des plus importants chartriers médiévaux de Suisse. Mais elles ne détiennent pas toutes les sources de l’histoire vaudoise, et l’auteur n’ignore pas la dispersion des archives due à des réalités administratives qui ont longtemps voisiné et se sont chevauchées sur un territoire donné (autorité savoyarde, puis bernoise, évêque de Lausanne, etc.), ainsi qu’aux aléas de l’histoire. Une particularité vaudoise est la très forte tradition communale, qui explique que les archives des communes constituent une part non négligeable du patrimoine documentaire cantonal. A ce titre, le canton dispose de la plus grande collection d’inventaires d’archives communales, du Moyen Âge à la Révolution de 1798. Cette dernière, consacrant le statut patrimonial des archives des anciennes autorités, aura une lente influence sur l’ouverture au public – un public d’érudits d’abord – et sur le développement de l’histoire régionale et des sociétés savantes.

Tresors couv bat 1

Au fil des siècles, les fonds d’archives se sont accumulés, la place a souvent manqué et Gilbert Coutaz retrace les métamorphoses des bâtiments des ACV, du beffroi de la cathédrale de Lausanne (1798), à la rue du Maupas 47 (1954), enfin au Centre de La Mouline (1985), à Chavannes-près-Renens, bâtiment d’archives désormais exclusivement réservé aux ACV et voisin du campus universitaire. Signe que les autorités reconnaissent alors à l’institution «un rôle de diffusion de la connaissance et de laboratoire de la recherche». Au 1er mars 2019, les AVC conservaient plus de 37 kilomètres linéaires d’archives, constituant l’un des plus importants et des plus riches centres d’archives publiques de la Suisse.

Facettes mémorielles des archives

L’auteur revient ensuite aux différentes facettes mémorielles incarnées par les archives: mémoire géographique et territoriale, mémoire de pratiques scripturaires et diplomatiques tôt apparues, mémoire des techniques reprographiques et des technologies de l’information jusqu’à nos jours, mémoire des structures administratives et politiques changeantes, mémoire des pratiques archivistiques, de leurs permanences et de leurs mutations récentes. Dans la conclusion de la première partie, Gilbert Coutaz brosse un tableau des enjeux actuels du métier d’archiviste. Celui-ci, travaillant sur le temps long, ne peut cependant ignorer les conséquences systémiques induites par l’arrivée des «nouvelles technologies» et des exigences – parfois contradictoires – de la société de l’information. L’auteur évoque avec conviction la nécessité pour l’archiviste d’être homme ou femme de son temps, sans ignorer la valeur universelle de l’inventaire d’archives et de la démarche d’évaluation, sans lesquels le métier d’archiviste est voué à la disparition. Assurer la disponibilité de la mémoire d’hier, œuvrer à la constitution de la mémoire d’aujourd’hui, anticiper sur les besoins et quêtes de mémoire de demain, tels demeurent les défis de l’archiviste du XXIe siècle.

Éclairages

La première partie de l’ouvrage est judicieusement ponctuées d’encadrés mettant le projecteur sur des thèmes spécifiques comme les archives des communes et paroisses, celles des notaires ou encore les campagnes de numérisations menées depuis plus de 20 ans par l’institution, en collaboration avec des partenaires.

La seconde partie de l’ouvrage, titrée «Catalogue de documents», présente dans toute leur diversité des documents regroupés par période de l’histoire vaudoise: période épiscopale et savoyarde (ex. l’empereur Othon III confirme des biens en Alsace à l’abbaye de Payerne, 997); période bernoise (ex. plan du territoire de la seigneurie de Lausanne, 1665-1680, illustration d’un fonds exceptionnel de plans cadastraux de l’Ancien Régime; premiers recensement de la population, 1764-1798); période helvétique (ex. premier drapeau du Canton du Léman, vert et blanc, avec la devise «Liberté et Patrie», mars 1798); période cantonale et contemporaine (ex. assainissement de la plaine de l’Orbe rendu possible grâce à la première correction des eaux du Jura, années 1860). Le catalogue fait une belle place à des documents d’origine privée, démonstration du haut intérêt que présente ce type d’archives dans une institution d’archives publiques (ex. plans du château néogothique de l’Aile, à Vevey, vers 1840; documents relatifs à la traite négrière et aux intérêts de familles vaudoises dans ce commerce, XVIIIe siècle; drapeau de la Commune de Paris pris par le caporal Claveau sous les ordres de Daniel Vincent Cérésole, 1871; photographies de l’Association pour les droits de la femme, années 1990; archives de fleurons industriels vaudois tel que Paillard-Hermès-Précisa, 1814-1989; archives de l’écrivain et parolier Emile Gardaz). Le projecteur mis sur les fonds privés témoigne d’une longue tradition d’accueil et d’une politique active d’acquisition menées par les ACV depuis plusieurs décennies. Le catalogue se termine, comme un clin d’œil, sur des documents relatifs à l’abattage du loup et de l’ours (1834) et la réclamation de primes d’abattage. Suivent une chronique très détaillée de plus de deux siècles de vie des ACV et une bibliographie non moins détaillée.

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Contrairement à ce que son titre pourrait faire craindre, l’ouvrage dont il est ici question évite soigneusement les pièges du genre qui risquent souvent de perpétuer l’image d’Epinal du métier d’archiviste, «brasseur de vieux papiers poussiéreux et de rebuts pour savants miteux» (p. 81). Dans son ouvrage, Gilbert Coutaz, tout en éclairant les trésors des ACV, ne manque de replacer ces trésors dans un contexte historique et archivistique. Ses textes sont éclairants et constituent un véritable «discours d’archives», encore trop rare dans notre pays. Voici donc un ouvrage qui devrait figurer dans toutes les bonnes bibliothèques d’archives et ailleurs.

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Alexandre Dafflon

Archiviste paléographe, archiviste cantonal, Archives de l'Etat de Fribourg AEF.