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2013/1 Privatarchive

Archives privées aux Archives cantonales jurassiennes

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Les Archives publiques, chargées de conserver la mémoire de l’Etat et des institutions officielles qui leur versent leurs dossiers, ne peuvent rendre compte de l’ensemble de la société. Les archives privées constituent un précieux complément, nécessaire pour mener une étude de la réalité sous ses aspects les plus divers. Dans le contexte jurassien, l’argumentation historique du mouvement aspirant à la souveraineté cantonale a contribué à façonner une conscience politique incluant l’histoire comme dimension identitaire de la société jurassienne.

Au moment de l’entrée en souveraineté du canton du Jura, en 1979, les Archives cantonales jurassiennes sont rattachées à l’Office du patrimoine historique, renommé Office de la culture en 2003. Les fonds d’archives qui y sont réunis proviennent principalement des administrations des trois districts, des arrondissements cantonaux en charge de secteurs particuliers, comme les ponts et chaussées, les forêts ou les écoles cantonales.

Parallèlement, des documents privés affluent aux archives: dons de particuliers, d’associations, d’entreprises, œuvres de musiciens, fonds de photographies ... Depuis 1979, la section des archives privées s’est considérablement étoffée. Le plan de classement adopté, avec l’utilisation de la cote J – comme dans le plan de classement des archives départementales françaises – répartit les documents entrés aux Archives cantonales par voie extraordinaire selon leur volume ou leur genre: documents et dossiers isolés, manuscrits ou textes rédigés, documents figurés rangés selon leur format et leur présentation d’encadrement ou non, copies de documents, documentation sous forme de revues de presse concernant la question jurassienne en particulier.

Pour s’en tenir aux fonds d’archives privées, il est frappant qu’ils relèvent des domaines les plus divers1. Pour commencer en musique, plusieurs fonds concernent la tradition musicale jurassienne, documentée dans les fonds provenant de James Juillerat ou Louis Chapuis, qui ont recueilli les paroles et les airs des chansons populaires du pays, et en ont dressé un répertoire important, enrichi encore par les compo- sitions de Paul Montavon ou les éditions musicales d’Henri Devain. Dans un autre registre, les archives de l’Orchestre symphonique de Porrentruy, de la Fédération jurassienne de musique ou de l’Ensemble de cuivres d’Ajoie renseignent sur la vitalité de ces sociétés. A une époque plus récente, les compositions de Jean Mamie et de Roger Chatelain, ou encore la partition originale de la cantate de Valentino Ragni «Aternance 76» créée lors de la cérémonie d’ouverture de l’Assemblée constituante jurassienne le 12 avril 1976 donnent un aperçu de la création contemporaine.

Dans le registre des traditions populaires, il faut mentionner les textes patois contenus dans plusieurs fonds d’auteurs patoisants comme Camille Courbat ou Jean Christe, ou encore les textes présentés à l’appréciation du jury des fêtes cantonales.

Dans le domaine politique, les archives du Rassemblement jurassien et de la rédaction du «Jura libre» mais aussi les papiers réunis par des militants séparatistes ont été remises aux Archives cantonales. Par les fonctions que ces protagonistes du mouvement ont occupées, les dossiers contiennent en outre des documents en rapport avec les mandats officiels que les acteurs de la question jurassienne ont remplis. En outre, ces fonds révèlent leur implication dans les affaires qui ont jalonné les années de lutte pour la création du canton du Jura. C’est le cas pour Roland Béguelin, secrétaire général du Rassemblement jurassien et rédacteur du «Jura libre», Bernard Varrin et Jean-Claude Montavon, tous deux animateur principal du groupe Bélier, mais aussi Pierre Billieux, Daniel Charpilloz, Roger Châtelain2, Robert Domeniconi, Victor Erard ou Daniel Jeanbourquin.

Des archives d’entreprises sont également sauvegardées grâce à la diligence de particuliers dans le cas de la Banque du Jura établie à Delémont ou du bureau technique de l’entreprise Ervin Piquerez SA à Bassecourt (EPSA), ou au moment de la cessation de leur activité ainsi dans le cas des Fours à chaux de Saint-Ursanne3, ou encore de la Céramique industrielle SA (CISA) de Bonfol. Enfin, les Archives cantonales jurassiennes ont recueilli la collection des brevets déposés à l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle pour l’ensemble du canton de Berne, que les Archives de Thurgovie avaient proposé de répartir selon les cantons. 

Des archives de sociétés sont également sauvegardées comme celle de la Fraternité de Porrentruy, société mutuelle couvrant les frais d’obsèques de ses membres, l’Association jurassienne des travailleurs sociaux, la communauté israélite de Porrentruy, mais aussi les débuts du Club de hockey d’Ajoie, les Cyclos du Groupe sportif d’Ajoie ou le scoutisme. Les grandes associations jurassiennes ont déposé leurs archives: la Société jurassienne d’Emulation, l’Institut jurassien des sciences, des lettres et des arts, l’Association pour la défense des intérêts du Jura (ADIJ). Les fondations Billieux Faber ou Marie Berret ont également confié leurs papiers aux ArCJ. Mentionnons encore des institutions sociales comme l’orphelinat du château de PorrentruyGlaenzer, A., L’hospice et orphelinat du château de Porrentruy: 1837–1930. – Jurassica, 2007, pp. 44–51.ou l’Institut Saint-Germain de DelémontNoirjean, F., L’institut Saint-Germain à Delémont. – Jurassica, 1995, pp. 39–40..

Des collections de photographies illustrent le passé jurassien: une collection de l’imprimerie Le Pays à Porrentruy, les clichés d’Eugène CattinNoirjean, F., Eugène Cattin (1886–1947), facteur aux Bois et photographe. – Jurassica, 2000, pp. 40–45., les photographies de l’architecte Jeanne Bueche œuvrant pour la protection des maisons rurales dans le cadre de l’Association pour la sauvegarde du patrimoine rural jurassien, les croix bordant routes et chemins photographiées par Gaston Imhof, les cartes postales d’Ajoie réunies par Albert Jobin.

Des hommes de lettres enrichissent les ArCJ de leurs correspondances, manuscrits et autres écrits: Virgile RosselNoirjean, F., Les archives de Virgile Rossel. – Intervalles no 81, 2008, pp. 205–221., Alfred Ribeaud, Pierre-Olivier Walzer ou encore Paul-Albert Cuttat dit Pablo Cuttat et publiant sous le pseudonyme de Tristan SolierMonnat, R., Tristan Solier, l’enlumineur. – Jurassica 2010, pp. 67–69.... Des personnalités politiques introduisent les chercheurs dans les arcanes des formations politiques: Jean Chapuis, Xavier Billieux, Pierre-Alain Gentil, Pierre Gassmann, Roger Jardin. Des ecclésiastiques ont laissé des collections de sermons édifiants: l’abbé Albert Brom, les doyens Louis Vautrey et Albert Membrez, l’oratorien Gérard Viatte ou le pasteur Jean-Louis François Paulet. Des archives familiales permettent d’entrer dans l’intimité de dynasties provinciales telles les ViatteLavoie, M., Tremblay, D., Le traitement du Fonds Auguste Viatte à l’Office du patrimoine historique: témoignage de deux Québécois. – Jurassica, 1999, pp. 46–47. Regards croisés entre le Jura, la Suisse romande et le Québec, sous la dir. de Claude Hauser et Yvan Lamonde. – Laval: Les presses de l’Université Laval; Porrentruy: Office du patrimoine et de la culture de la République et Canton du Jura, 2002, VIII, 344 p. Contient: Noirjean, F., Les Archives Viatte. Lavoie, M., L’instrument de recherche du fonds d’archives Auguste Viatte: une porte d’entrée sur son univers. Tremblay, D., Le fonds Auguste Viatte: une source d’informations de choix sur la francophonie et la littérature.Noirjean, F., La mise en valeur des archives d’Auguste Viatte (1901–1993). – Les archives personnelles: enjeux, acquisition, valorisation, 12es Journées des Archives de l’Université catholique de Louvain (2012), Louvain la Neuve (à paraître). Monnat, R., Germain Viatte, un médecin dans la cité. – Jurassica, 2002, pp. 57–59.de Saignelégier établis à Porrentruy et dans le monde, ou encore les Wermeille, fixés à Delémont.

Un fonds particulier: les archives d’Eugène Péquignot 

Les archives personnelles d’Eugène Péquignot (1889–1962) constituent un exemple remarquable par son volume, par les éminentes fonctions occupées par son auteur et les domaines qu’il documente. Fils de l’avocat Ernest Péquignot, Eugène Péquignot entreprend des études de droit et obtient son brevet d’avocat. En 1913, il entre au Département fédéral de l’économie, appelé alors Département du commerce, de l’industrie et de l’agriculture; il y restera jusqu’à son départ en retraite, en 1954, devenu secrétaire du Département en 1923, et fier de son titre de secrétaire général depuis 1939.

Le fonds Eugène PéquignotNydegger, C., Perception et défense des intérêts jurassiens par un haut fonctionnaire fédéral, Mémoire de licence Fribourg, 1997. Eugène Péquignot, (1889–1962), ancien secrétaire général du Département fédéral de l’économie publique: exposition organisée à l’occasion du don du Fonds Eugène Péquignot et du 25e anniversaire de la mort d’Eugène Péquignot, octobre – novembre 1987, Porrentruy, Office du patrimoine historique (catalogue). – Porrentruy, Office du patrimoine historique, 1987, 19 p., remis par son fils Jean aux Archives cantonales en 1981, conserve la marque de son auteur, homme de gestion habitué à constituer des dossiers concernant des personnes: conseillers fédéraux avec lesquels il a travaillé et d’autres, fonctionnaires de la Confédération, juristes, membres de sa famille, personnalités rencontrées dans l’exercice de fonctions ou dans les milieux associatifs. Il s’agit d’une importante série de dossiers concernant les questions horlogères dont les structures ont été marquées par l’action d’Eugène Péquignot. Le haut fonctionnaire fédéral fait partie de multiples organismes de la branche: Tribunal arbitral horloger, ASUAG, Consulthor, Chambre suisse de l’horlogerie et branches annexes, Fédération horlogère des associations de fabricants d’horlogerie, Section de l’industrie horlogère. Le fonds Eugène Péquignot renseigne aussi sur les conférences internationales auxquelles il a participé comme membre de la délégation suisse: Conférence économique de Gênes réunie en 1922 dont il publiera ses souvenirs, Conférence internationale de l’opium en 1924, Conférence sur la trêve douanière en 1927, Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex rétablies par l’arbitrage de Territet de 1933, ou les activités du Comité économique de la Société des nations.

Au-delà des dossiers liés à ses fonctions, les papiers d’Eugène Péquignot renferment une importante correspondance révélant le réseau de relations qu’il a établi au gré des manifestations auxquelles il participe, représentant parfois le Conseil fédéral. Ces correspondances renseignent aussi sur les milieux industriels, en particulier de l’horlogerie.

Les prises de position d’Eugène Péquignot sur des questions qui touchent le Jura et agitent l’opinion revêtent d’autant plus d’autorité qu’il occupe de hautes fonctions et est entouré d’une réelle autorité morale, que ce soit le projet de place d’armes dans les Franches-Montagnes ou la votation du 5 juillet 1959 sur l’initiative du Rassemblement jurassien tendant à la promulgation d’une loi concernant l’organisation d’un vote consultatif en vue de connaître les aspirations du peuple jurassien. Il participe aux activités des associations jurassiennes (Société jurassienne d’Emulation, Pro Jura, Institut jurassien), préside l’Université populaire jurassienne durant ses premières années. Eugène Péquignot s’active dans les milieux romands de Berne, cultive des contacts avec les sociétés d’étudiants ou de juristes. En bref, le grand commis de la Confédération resté attaché à ses Franches-Montagnes d’origine et actif dans une foule de cercles dont ses archives rendent compte. 

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François Noirjean

archiviste cantonal, Archives cantonales jurassiennes (ArCJ) 

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Im Kanton Jura hat die historische Argumentation der Bewegung, die die Unabhängigkeit des Kantons anstrebt, dazu beigetragen, ein politisches Bewusstsein zu schaffen, das die Geschichte als identitätsstiftenden Teil der jurassischen Gesellschaft einschliesst. Seit 1979 werden im Kantonalarchiv private Dokumente gesammelt, die unter verschiedenen Aspekten über diese Gesellschaft informieren: Musik, Sprache, politisches Leben, Unternehmen, Sport- und lokale Vereine. Der Beitrag berichtet über das persönliche Archiv von Eugène Péquignot (1889–1962), Rechtsanwalt und Generalsekretär des eidgenössischen Departements für Wirtschaft. Die Analyse zeigt die Vielfalt der verschiedenen sozialen Rollen auf, die eine wichtige Persönlichkeit sowohl auf regionaler als auch auf nationaler Ebene gespielt hat.