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2021/ Das Dokument, die Akte, das Medium – was ist das?

Pertinence et impertinence des archives familiales – Partie I

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Être confrontée à des archives familiales à côté de son travail d’archiviste, cela revient à s'interroger sur plusieurs fondamentaux de l’archivistique contemporaine, à commencer par les concepts de «documents d’archives» et de «fonds d’archives».

Quelques définitions archivistiques

Un document d’archives peut être défini comme un «ensemble constitué d'un support et de l'information qu'il porte, utilisable comme preuve ou à des fins de consultation. Singulier d’archives» et les archives comme «l'ensemble des documents, quel que soit leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de leur activité»1.

Dans ces définitions des archives et du document d’archives, la notion de producteur – qui renvoie aux principes de provenance et de respect des fonds d’archives – est essentielle, toute la discipline archivistique repose là-dessus2. Le fonds d’archives doit refléter les activités de son producteur, selon un ordre cohérent établi par le producteur. Les documents d’archives provenant de ce producteur doivent si possible être intègres, authentiques, fiables et exploitables. L’archiviste doit donc conserver l’ordonnancement et les liens organiques des documents qui composent le fonds, pour servir d’éléments de preuve et de mémoire aux utilisatrices futures (on parle de sources primaires en histoire).

Le fonds d’archives s’oppose ainsi à la collection d’archives ou à la documentation, qui est un mélange de documents collectés selon les centres d'intérêt d’une personne physique ou morale.

Cela, c’est pour la théorie. Quid de ces concepts à l’aune d’archives familiales, de différentes provenances, mais reliées entre elles par le jeu des alliances?

De la réalité de «mes fonds» d’archives familiales

Les archives familiales sont des documents concernant une famille qui s'accumulent au fil du temps, par exemple des certificats de naissance, des passeports, des photographies et vidéos, de la correspondance, des certificats d’examen, des journaux intimes3. Elles peuvent être considérées comme une sous-catégorie d’archives privées, dont la transmission et la conservation tiennent généralement plutôt de hasards liés à des facteurs émotionnels qu’à des besoins juridiques ou historiques d’une famille4.

Dans ma pratique des archives familiales que j’ai moi-mêmes produites, héritées ou retrouvées dans d’autres familles, nous avons affaire de fait à des fonds d’archives qui s’apparentent plutôt à des gisements archéologiques profondément remaniés en raison des «activités» naturelles de ma(mes) famille(s), dont les strates ne sont pas clairement compréhensibles, avec de nombreux «artefacts» partagés entre plusieurs producteurs.

[photos grand-maman] Exemples d’une boîte «Photos quotidiennes avant 1945» provenant de ma grand-mère. Dans les faits les photographies courent des années 1860 (probablement collectées par la grand-mère ou les arrières-grands-parents de ma grand-mère) aux années 1990 (ma grand-mère et ses activités), et couvrent environ sept générations. Par chance, la plupart de ces images ont été légendées, sur le moment ou à posteriori, avec des noms (parfois uniquement «un oncle Frédéric») et parfois des lieux et des dates. On trouve des compléments de ces photographies dans des albums de membres plus éloignés de la famille, conservés dans d’autres archives familiales, ce qui permet de recomposer les visages anciens de nos familles au terme de recherches chronophages.

Ainsi, si les archives héritées de mes grands-parents proviennent apparemment de deux producteurs (ma famille paternelle et ma famille maternelle) et constituent donc à priori deux fonds d’archives distincts, il se dégage de ces deux fonds aussi les archives personnelles de chacun de mes quatre grands-parents, mais également des archives qui n’ont manifestement pas été produites par mes grands-parents, qu’ils ont collectées au fur et à mesure de leur activité familiale, parfois sur plusieurs générations, sans que les traces de ces successions soient documentées.

Il en résulte des trouvailles tout à fait fortuites, par exemple dans des meubles récupérés chez des «cousins» décédés. Le lien de ces «archives» avec la famille ne fait aucun doute, mais la provenance exacte est tout à fait inconnue puisque personne ne semblait connaître cette «cachette» précédemment.

Kern 2 Album

Nature des «documents d’archives» de familles

Outre les documents d’archives «administratives» usuels tels des cartes d’identité et passeports, diplômes, abonnements de transports publics, testaments, etc., on trouve naturellement de nombreux souvenirs sous forme d’albums de photographies, de notes personnelles, de correspondance, et, cela est moins connu, de nombreux objets exposés ou encore utilisés dans mes familles: tableaux d’ancêtres (encore faut-il savoir de qui il s’agit), linges avec initiales de mes grands-mères et arrières-grands-mères, bijoux de famille, livres écrits par mes ancêtres (avec parfois un autographe), habits confectionnés par mes arrières-grands-mères, bibles avec registres de famille, meubles ayant appartenu à mes ancêtres, etc. Le tout est de réussir à les identifier et les documenter, puis, une fois qu’il ne sont plus utilisés par la descendance, de tenter de les récupérer avec leur «histoire». À noter que certaines photographies d’archives, jugées à priori peu intéressantes, permettent parfois de contextualiser ces «objets» en les représentant dans un lieu ou avec une personne, à une date donnée.

Kern 3 Objets

Parmi ces «objets» des temps passés, on retrouve naturellement d’autres documents d’archives collectés par mes ancêtres pour documenter leur histoire familiale. Certains sont des originaux (tel un passeport de mon ancêtre en 1860 à la provenance inconnue), la plupart sont des copies de toutes sortes et de toutes dates.

Du rôle des copies et de la documentation

Dans mes archives familiales, on trouve des copies, des copies et des copies à ne plus savoir qu’en faire. En bonne archiviste, j’ai bien appris que je pouvais les éliminer sans autre, surtout s’il s’agissait de documentation que je pourrais reproduire en allant chercher la source originale.

Oui, mais…

  • Mais voilà que je me mets moi-même à fabriquer de nouvelles copies en reproduisant à tire-larigot des informations concernant ma famille retrouvées dans la presse régionale, dans des livres et revues ou dans d’autres archives institutionnelles ou familiales, notamment pour illustrer mes recherches généalogiques.
  • Voilà que je vois que mon grand-père et son frère ont fait de même en se documentant sur leur famille et que j’ai récupéré ces photocopies de livres et revues.
  • Que l’un de mes ancêtres vers 1820 a aussi fait recopier dans un cahier qui ne paye pas de mine des extraits de registres paroissiaux sur la naissance de ses parents, de lui-même et de sa femme, puis qu’il les a complété de sa main à la naissance de ses enfants.
  • Que les tirages photographiques sont par essence des «copies» d’un négatif que l’on peut distribuer à toute la famille, et il n’est donc pas étonnant que je «revive» mon premier Noël dans quatre «fonds» d’archives différents: chez mes grands-parents, mes parents et mon oncle (photographies qu’il m’a données il y a plusieurs années).
  • Que ma grand-mère a conservé la même coupure de presse avec ma photo que celle que j’ai conservé dans mes archives.
Kern 4 Copies

J’ai appris donc à ne pas éliminer des «copies» sous prétexte qu’on pouvait les retrouver ailleurs, car chacune d’entre elle raconte sa propre histoire et porte en elle sa propre provenance, et j’ai appris aussi à concevoir ces «copies» plutôt comme des «instantiations», à savoir des représentations physiques d’un même contenu intellectuel («record ressource») qui peut se retrouver dans différentes archives5.

Du traitement de ce type d'archives

Si nous analysons «mes» archives familiales d'après les définitions archivistiques ci-dessus, nous avons des fonds ou collections d'archives qui ont été conservées selon des facteurs émotionnels dans le cadre d'une activité familiale usuelle. Ces archives contiennent autant des documents originaux collectés que des copies faites par leur producteur. Il est donc illusoire de respecter l'ordre de ces fonds, car ils ont été remaniés à plusieurs reprises par plusieurs personnes. Leur «producteur» ne reflète que le dernier propriétaire de ces fonds et non les logiques antérieures d'acquisition qui n'ont jamais été documentées.

Si les caractéristiques de ces documents ont pu être à un moment donné leur intégrité et authenticité pour servir de preuve, ce n'est pas toujours le cas, surtout pour les documents collectés à postériori par la famille sur la famille. Leur finalité est de servir de «source» (primaire ou secondaire) pour l'histoire de la famille.

La frontière entre «archives» (produites) et «documentation» (collectée) n'est pas claire et elle n'importe pas ici, puisque le prisme de recherche est la pertinence et non la provenance.

Partant de ce constat, je me suis contentée pour le moment de documenter et de numériser une partie des différents fonds d’archives familiales que j'ai pu retrouver en parallèle de recherches généalogiques pour identifier les liens entre les personnes mentionnées.

Kern 5 Organisation Archives Familiales

Comment traiter ces archives?

Pour le moment je me suis contentée de documenter et numériser une partie des différents fonds d’archives familiales dans une optique généalogique.

Malgré plusieurs guides pratiques à disposition du grand public et des archivistes6, je n’ai pas encore trouvé de façon qui me convienne pour procéder à la description et la mise à disposition de ces archives. J'espère vous faire part de mes réflexions dans une partie II de cet article ces prochains mois.

Outre la formation Organiser les archives familiales du Conseil international des archives, voici quelques guides pour aider les particuliers à prendre en charge leurs archives familiales:

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Gilliane Kern

Master of Science en Information documentaire en 2011 à la Haute école de gestion de Genève, conjointement avec l’École de bibliothéconomie et des sciences de l'information (EBSI) de l'Université de Montréal.

Archiviste et conseillère en gestion documentaire depuis 2012 pour la société docuteam, elle est membre de la direction et responsable en Suisse romande des projets de gestion de l’information, du Service intercommunal d’archivage dans le canton de Neuchâtel (SIAr) et représentante des activités en archivage électronique.

Elle fait partie du comité de rédaction d'arbido depuis 2014 et du comité de l’Association des archivistes suisses (AAS) depuis 2015.

Sous le pseudo Gilliane, elle est aussi wikimédienne et cherche à optimiser le travail des archivistes (et autres professionnel·le·s GLAM) par les outils Wikipédia, Wikidata, Wikimedia Commons et Wiktionary.

Abstract

Les archives familiales reflètent des pratiques d'acquisition diverses qui sont rarement documentées. Elles comprennent autant des «archives» (produites ou collectées) que de la «documentation» (collectée), si bien qu'il n'est pas toujours facile de distinguer quelle est la «provenance» de ces archives.

Le traitement de ce type d'archives dans un contexte personnel permet donc de s'interroger sur plusieurs fondamentaux de l’archivistique contemporaine, à commencer par les concepts de «documents d’archives» et de «fonds d’archives».