25 ans de développement de l’archivage électronique en Suisse (1995-2021)
L'archivage de documents électroniques est venu chambouler les pratiques des archivistes dans les années 1990. C'est en se groupant au sein de réseaux spécialisés (groupe de travail de l'AAS, puis le CECO) que les archivistes suisses ont pu poser les bases pour répondre ensemble à ce nouveau défi.
Contexte historique1
Une première journée de travail a été organisée en 1995 sous l’impulsion de la Commission de formation de l’AAS. A sa suite un Groupe de travail pour l'archivage de supports informatiques est fondé en 1996. Il s’attelle aussitôt à développer un programme de formation continue conséquent entre 1999 et 20002. Le dernier volet de ce programme a mené au constat que les décideurs n’étaient pas mobilisés par rapport à cette problématique qui constituait à l’évidence le défi à venir pour les archives. En conséquence le groupe de travail a décidé de porter cette question aux plus hautes instances et a soumis à l’assemblée générale de l’AAS de 2000 une résolution pour élaborer une stratégie nationale, en proposant de mandater la Conférence des Directeurs d’archives (CDA) comme pilote de ce projet. Entre 2001 et début 2002 cette équipe va élaborer cette stratégie qui sera validée par la CDA au printemps 20023.
On trouvera plus de détails à propos de la période 2002-2012 dans mon article: Une stratégie et puis après… Dix ans de développement de l’archivage électronique en Suisse (2002-2012), La Gazette des archives n°229, 2013, pp. 185-208.
La stratégie
La stratégie partait des constats suivants:
- Aucun service d’archives suisse (à part peut-être les archives fédérales) n’avait les moyens et l’expertise pour maitriser la problématique de l’archivage électronique
- La structure fédéraliste de la Suisse empêchait à priori la création d’une structure centralisée pour résoudre ce problème
- Les différents niveaux administratifs (communes, cantons, confédération) devaient faire face à des situations organisationnelles très différentes bien que technologiquement similaires
A partir de ces constats initiaux l’équipe projet a construit une stratégie qui n’était pas établie sur un mode prescriptif mais plutôt comme une «shopping list» avec un certain nombre de mesures pouvant être assumées par différents acteurs du paysage archivistique au sens large.
Les détails de la mise en œuvre, ont été examinées et développé lors des journées professionnelles de l’AAS de 2002 «Documents électroniques; une stratégie ... et puis après?»4.
Réalisations de la stratégie
A partir de cette stratégie, les différents acteurs du paysage archivistique suisse ont pu agir au niveau le plus adéquat tout en sachant pouvoir se reposer potentiellement sur les autres acteurs dans leurs domaines de compétences spécifiques.
Au niveau associatif: Commissions et groupes de travail
Suite à la publication de la stratégie et la journée professionnelle qui lui a été consacrée en 2002, l’AAS a mis en place une Commission e-Archives qui a travaillé de 2003 à 2008, puis a changé de dénomination dès 2009 en se transformant en Groupe de travail pour le records management et l’archivage électronique.
Au niveau cantonal: Révisions législatives
Depuis 2002 de nombreuses dispositions légales relatives aux archives, à la transparence administrative et à la protection des données ont été édictées dans les différents cantons suisses: 9 sur la protection des données, 6 sur la transparence administrative, 22 sur l’archivage (ce qui dénote un effort de rattrapage significatif)5.
Mise en place de politiques de cyberadministration
Parallèlement à cet «aggiornamento» réglementaire, certains cantons ont élaboré des politiques plus ou moins ambitieuses en ce qui concerne la cyberadministration, dont le corollaire est la mise en place de système de records management électronique et d’archivage numérique.
Au niveau national: Normalisation et réglementation
Compte tenu de la structure fédérale de la Suisse, il est rare de développer des offices centralisateurs. Aussi, la Confédération et les cantons ont mis en place une structure de type associatif pour développer les instruments normatifs nécessaires à la mise en place de la cyberadministration. Cet organisme, fondé en 2006 et appelé e-CH, rassemble en son sein des experts des offices fédéraux et cantonaux, voire communaux, mais également des partenaires privés actifs dans le domaine de l’informatique et de l’organisation.
Mise en place du Centre national de compétence (KOST-CECO)
La création d’un «Centre national de compétence» était une des mesures clé de la stratégie. La plupart des directeurs des archives en étaient convaincus mais le modèle de financement coopératif a eu de la peine à se mettre en place. Ainsi, seul la Confédération, la Principauté du Lichtenstein et 18 cantons ont assumés le financement initial du centre dès 2004. Ce n’est que depuis 2009 que la presque totalité des cantons participent à son financement.
Vue d'ensemble sur la mission du CECO et l'état actuel de la mise en œuvre.
Le CECO soutient et conseille les archives participantes pour l'archivage des documents électroniques:
- Il élabore des normes et des directives de base pour l'archivage numérique.
- Il fournit des outils et des services pour résoudre des problèmes spécifiques.
- Il documente, dans des études et des colloques, les connaissances sur des sujets spécifiques.
Le CECO a également élaboré un document de principe «Exigences de base en matière d'archivage électronique»6.
Projets menés par le CECO
Durant la première décennie suivant la publication de la stratégie (2002-2012), le CECO a mené 3 projets. La décennie suivante (2013-2021) lui a permis d’en réaliser 167.
Il a développé et maintenu un certain nombre d’outils dont le validateur de paquets d’information à verser SIP-Val8,. Il maintien également une base de données terminologique9 et une Catalogue des formats archivables (Cfa)10. Enfin il répond à de nombreuses demandes d’informations ponctuelles issues de la communauté archivistique suisse.
Archives fédérales: de ARELDA à GEVER
ARELDA11 est un prototype d’archivage électronique développé par les archives fédérales entre 2005 et 2009. Dans ce cadre a été développé le format d’archivage des bases de données SIARD12 (Software Independent Archiving of Relational Database), qui permet de transformer les bases de données opérationnelles en structure indépendante des logiciels et offrir un potentiel d’archivage à long terme satisfaisant. Ce produit est actuellement utilisé par d’autres services d’archives européens. Les Archives fédérales le mettent gratuitement à la disposition des personnes qui en font la demande.
Ultérieurement, les AFS ont développé un Digital Information Repository (DIR)13 qui est entré en exploitation depuis 2010.
GEVER est l’acronyme de Geschäfts-Verwaltung, terme alémanique correspondant au concept de Gestion des affaires ou de Records management.
Le 23 janvier 2008, le Conseil fédéral a approuvé un train de mesures relatif au traitement unifié et standardisé des données et des documents. Ce plan d’action est indispensable à la stratégie suisse de cyberadministration (24 janvier 2007) par laquelle la Confédération s’est engagée à garantir, au moyen des techniques de l’information et de la communication, une activité administrative qui soit la plus économique et la plus proche des citoyens possible. Le train de mesures a été élaboré conjointement par les Archives fédérales suisses (AFS), la Chancellerie fédérale (ChF) et l’Unité de stratégie informatique de la Confédération (USIC). Il s’agit principalement d’introduire une gestion électronique intégrale des affaires à la Confédération et, partant, de garantir le caractère juridique contraignant des documents électroniques.
Du côté des archives, le projet GEVER a conduit à la création de nombreux guides, outils et spécifications, dont on peut trouver le détail sur le site des Archives fédérales14.
Etat des lieux en 2011
Au printemps 2011, sur mandat de la conférence des directeurs d’archives, le CECO a réalisé une enquête sur l’état d’avancement de l’archivage électronique dans les archives suisses (33 réponses)15.
Le CECO a mené une nouvelle enquête en 2020. Les résultats sont indicateurs du progrès accompli dans cette décennie: plus des trois quarts des archives ont déjà accepté des versements numériques ou sont en train de planifier les premiers versements. Ceci implique que des processus sont mis en œuvre, des formats de SIP définis, des logiciels d’archivage numérique acquis et des solutions de stockage pérenne implémentés. Les services d’archives sont à des états de maturité très divergents, mais plus qu’une poignée d’institutions n’a pas encore mis la main aux versements numériques. Le prochain défi est constitué par la salle de lecture virtuelle, actuellement mise en œuvre auprès de quelques archives pionnières déjà.
Conclusions
Rétrospectivement, il est indéniable que la stratégie de 2002 à permis aux différents services d’archives de Suisse de prendre sereinement le virage de l’archivage des documents électroniques. Elle a insufflé un esprit de coordination et de partage sans précédent dans l’association, qui a permis des développements techniques et l’acquisition de compétences dans presque tous les services d’archives. Ce chantier reste cependant ouvert pour les nombreux défis qui se présentent, tel que la maîtrise des Linked data, la gouvernance de l’information et d’autres défis à venir. Nul doute que le savoir faire acquis permettra à la communauté archivistique d’y faire face.
Mes remerciements à Georg Büchler qui a bien voulu vérifier les données concernant le KOST/CECO.
Abstract
- Français
L'archivage de documents électroniques est venu chambouler les pratiques des archivistes dans les années 1990. C'est en se groupant au sein de réseaux spécialisés (groupe de travail de l'AAS, puis le CECO) que les archivistes suisses ont pu poser les bases pour répondre ensemble à ce nouveau défi.